À l’occasion de la parution du livre "Arthrose, Arthrite : je me soigne en mangeant", le Professeur Jérémie Sellam, rhumatologue et co-auteur de l’ouvrage, a partagé avec nous les principaux axes de cette approche nutritionnelle innovante pour les patients atteints de rhumatismes. Ce guide s’appuie sur les recommandations de la Société Française de Rhumatologie (SFR) et sur les données scientifiques actuelles, tout en prenant soin de déconstruire les idées reçues autour de l’alimentation et des régimes dits “miracles”. Le Pr. Sellam nous éclaire sur les objectifs du livre, la démarche de démystification des régimes restrictifs, et l’importance d’une approche pratique et réaliste pour les patients.
Voici l’interview complète.
Pr. Jérémie Sellam : J’ai eu l’honneur de coordonner les recommandations de la Société française de rhumatologie (SFR) sur l’alimentation des patients ayant un rhumatisme inflammatoire et c’est ce qui nous a donné l’idée du livre avec mon collègue médecin nutritionniste, le Pr Sébastien Czernichow. Le constat, partagé par de nombreux collègues, est que les patients ont énormément d’interrogations sur l’alimentation sans que les médecins y répondent ou même n'y portent intérêt… même si c'est en train de changer actuellement. Ce constat est illustré par les études : au moins 30% des patients ayant une polyarthrite rhumatoïde (PR) essaient des régimes pour agir sur leurs articulations et plus de la moitié des patients estiment que les aliments peuvent avoir un effet positif ou négatif sur leur douleurs articulaires. Et plus de 2/3 des patients ne parlent pas de leurs changements alimentaires à leur médecin de peur de ne pas être pris au sérieux. Ne pas tenir compte de ces chiffres, c’est occulter la réalité. C’est la raison pour laquelle la SFR a tout d’abord réalisé un état des lieux des connaissances sur l’effet des différents types d'alimentation dans les rhumatismes inflammatoires, notamment la PR. Cet état des lieux a ensuite permis à un groupe d’experts d’établir des recommandations. Je remercie ici l’implication de l’ANDAR, les patients et aussi les sociétés savantes de nutrition qui se sont impliquées dans ce projet ambitieux.
Nous avons repris ces recommandations dans le livre, mais en apportant un aspect très pratique sur comment faire ses courses et manger au quotidien, chez soi ou au travail, seul ou à plusieurs. En effet, on ne peut pas simplement dire à un patient « mangez plus de fibres et d’oméga 3 », il faut expliquer comment faire au quotidien.
Sachant que l’état des connaissance sur la nutrition et les rhumatismes évoluent, il est possible que les recommandations de la SFR (et le contenu du livre) changent d’ici quelques années.
Les soignants peuvent avoir des réactions variables quand les patients déclarent qu'ils font tel ou tel régime d'exclusion (sans gluten, sans laitages etc.). L’idée n’est pas de dire aux patients qu’ils font n’importe quoi mais plutôt de les informer et de les accompagner. Ainsi, lorsqu’un patient me dit que tel régime « sans » est efficace chez lui, je ne suis pas là pour dire qu'il a tort ou qu'il a raison, ce qu’il ressent est bien réel. Je lui expliqué que les données scientifiques ne supportent pas son expérience mais que tant mieux si c’est efficace chez lui, sans en faire une recommandation à tous les patients. De plus attention, aux régimes restrictifs, qui peuvent être associés à des carences, à de la privation, à de l’isolement social. Je recommande donc de ne pas les poursuivre si cela n’est pas ou peu efficace, de s’autoriser des écarts, de conserver le plaisir de manger, et surtout d’être supervisé par un médecin nutritionniste ou un diététicien pour les troubles du comportement alimentaire.
Aussi, il est certain que certaines approches nutritionnelles mériteraient d’être mieux étudiées. Le jeûne intermittent par exemple : il n'y a aucune étude dans les rhumatismes donc je n'ai pas d'avis basé sur la science. Et donc tout reste à faire en recherche à ce sujet !
Cela a été très bien démontré. Par exemple, Il faut se méfier du régime sans gluten parce que le « sans gluten », d'abord, ça coûte plus cher. Et cela n'a pas que des effets positifs puisqu'on a pu relever des effets néfastes cardiovasculaires ou sur la santé osseuse. Certains produits alimentaires sans gluten peuvent être « bio » mais très gras, très sucrés et composés d'additifs.
Dans tous les cas, attention à la condamnation par l’alimentation alors qu’il n’est pas évident de vivre avec une maladie chronique, source de contraintes. Il ne faut pas que l’alimentation soit un sacrifice.
Les patients ayant une polyarthrite rhumatoïde ont plus de problèmes tendineux aux épaules, plus de douleur lombaire chronique, plus d’arthrose en général. On s'y intéresse de plus en plus d’autant que l'on a des traitements efficaces pour contrôler l'inflammation de la PR tandis que nous manquons de médicaments efficaces pour traiter l’arthrose. Avoir les deux maladies correspond dans certains cas à ce qu’on appelle désormais les « polyarthrites difficiles à traiter » (cf AndarInfos n°80).
D’ailleurs, il faut que le rhumatologue prenne en charge les deux affections car l’attente des patients est être amélioré, quelle que soit la cause des douleurs articulaires, arthrose ou arthrite.
Revenant au sujet de l’alimentation, les recommandations se rejoignent entre arthrose et arthrite: contrôle du poids et alimentation équilibrée, naturelle, méditerranéenne.
Il faut déjà savoir ce que sont les aliments ultra-transformés et nous expliquons cela dans le livre, parce qu'il y a différents niveaux de transformation. On incrimine ces aliments ultra-transformés dans les maladies métaboliques, mais aussi, une autre maladie inflammatoire, la maladie de Crohn. Il a été montré dans la PR une augmentation des maladies cardiovasculaires associée à la consommation de ces aliments ultra-transformés. Ceci est particulièrement important car la PR expose déjà à un risque accru de problèmes cardiovasculaires.
Mais encore une fois, on ne peut pas bannir à tout jamais ces aliments qui représentent une grande proportion des produits alimentaires disponibles. L’objectif, sans être radical, c'est globalement d'essayer de les identifier pour les éviter tant que possible et de compenser avec d'autres aliments de meilleure qualité.
Il existe des études anciennes sur le jeune hydrique, (avec quelques bouillons et compléments vitaminiques tout de même) datant des années 1980, donc avant l’ère des antiTNF. Ces études ont montré un effet modeste et suspensif, c’est-à-dire que les douleurs et l’inflammation récidivaient à la reprise de l’alimentation. Mais attention, ce type de jeûne est dangereux pour la santé car ils peuvent déstabiliser l'équilibre physiologique de l'organisme, provoquer des troubles sanguins, et déstabiliser les maladies associées (cardiaques, diabète, etc). Donc, j’affirme clairement que ces jeûnes potentiellement dangereux. Les recommandations de la SFR ne les recommandent clairement pas.
La pratique « à la mode » porte sur le jeûne intermittent, qui correspond à la limitation de consommation d’aliments pendant des périodes de temps définies à l’avance. Ce jeûne peut se faire sous différentes formes, en diminuant le nombre de repas quotidiens (sauter le petit déjeuner, ou le dîner, par exemple), ou en ne mangeant pas un jour sur deux. Il y a donc différentes variantes. Je dirais qu'il n'y a pas de preuves que ça marche dans la PR, car il n'y a pas d'étude. Donc, si un patient veut absolument essayer, je lui dirais « pourquoi pas », s'il réussit à l'intégrer dans son mode de vie et toujours avec les mêmes réserves (évaluer si c’est vraiment efficace, et si cela ne représente pas trop de contraintes au quotidien).
Effectivement et c’est particulièrement vrai dans la polyarthrite rhumatoïde et dans tous les rhumatismes, en plus du contrôle du poids. Il s’agit d’une alimentation très végétale faite de fibres, riches en acides gras, oméga 3.
Mais une fois qu'on a dit ça… manger des fibres et des oméga 3 quand on est au supermarché ou au marché, cela n’est pas évident. On a donc proposé une liste de courses à la fin du livre. Il s’agit de fruits et légumes, et aussi de légumineuses (ex lentilles, haricots), céréales avec l’avantage que le prix de ces denrées reste acceptable et que c'est très riche aussi en fibres et protéines. La consommation de viande est bien évidemment possible en préférant les viandes blanches, sans pour autant bannir complètement la viande rouge (mais en régulant leur fréquence de consommation), sans oublier les poissons qui contienne du bon « gras »… alors on pense tout de suite au thon et au saumon, mais le maquereau et la sardine, c'est très bon aussi !
Pour oméga 3, la SFR a évoqué les compléments alimentaires, mais la meilleure solution reste d'augmenter leur consommation dans l'alimentation parce que les compléments alimentaires représentent un coût et les études d’efficacité s’arrêtent à 6 mois et que la démarche est plutôt de modifier ses habitudes alimentaires plutôt que prendre des gélules en plus.
Et si suivre les saisons est idéal pour se nourrir, pour ceux qui n'ont pas toujours, l'énergie pour ça, on donne quelques astuces. Il est par exemple possible de s'aider des robots électriques, d'acheter des légumes découpés, des bocaux. En tout cas c'est toujours mieux de manger des légumes en bocal que pas de légumes du tout.
L’accent a été mis aussi sur le sel car des études montrent dans des modèles animaux de PR et chez l'homme, que sel et polyarthrite ne font pas bon ménage : le sel active l’immunité (certains sous types de globules blancs, les lymphocytes Th17). N’oublions pas que le sel peut avoir des effets sur la pression artérielle. Pas facile de diminuer le sel dans son alimentation (il y a aussi le sel visible, qui est sur la table, et aussi le sel « caché » : on explique dans le livre comment réduire leur consommation.
Plus globalement, le livre aborde la médecine du mode de vie qui intègre notamment l’activité physique régulière mais aussi la gestion du stress et du sommeil parce qu’améliorer sa santé c’est aussi la préserver tant sur le plan physique que mental. C’est une approche globale et le livre apporte des conseils pour améliorer tous ces aspects de la vie.
Face aux écarts, il ne faut pas culpabiliser ! On compose avec la réalité des contraintes de la vie, au jour le jour, et on équilibre avec les repas suivants. Et qu'il y ait quand même du plaisir. En plus, on a vu que pour l'alimentation méditerranéenne, il y a un effet de halo, c’est à dire que quand quelqu'un s'y met dans la famille, tout le monde s'y met un petit peu. Donc ça peut être aussi un peu une aventure collective. Moi, par exemple, je propose à mes patients le livre de recette que l’on retrouve sur le site de l’ANDAR développé avec Fresenius Kabi et je leur dis de prendre une photo du plat et de me la montrer, ç’est motivant !
Les 10 règles d’or, assorties des « trucs et astuces », doivent permettre aux personnes avec une PR de mettre en pratique, dans leur quotidien, les recommandations de la SFR. Il faut en effet passer des principes à la réalité.
Dans tous les cas l’alimentation est un complément aux traitements de fond qui ne doivent pas être arrêtés. De plus, s’occuper de son alimentation quand on a une PR, c'est aussi un moyen de reprendre un peu le contrôle sur sa vie en général, mais pas en allant dans des régimes supposés miracles (méfiez-vous du mot « miracle » en médecine en général et en nutrition en particulier). Il faut aussi éviter de se perdre dans les informations issues les réseaux sociaux. Et c'est en ça que le site de l’ANDAR est important, pour la fiabilité des informations.
Références : Arthrose, Arthrite, je me soigne en mangeant
Rhumatismes, ce qui marche vraiment pour soulager vos articulations
Pr. Sébastien CZERNICHOW & Pr. Jérémie SELLAM
› Parution 3 OCTOBRE 2024
› 240 pages
› 19,90 €